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Qu’est-il arrivé à Call Expert Languedoc-Roussillon ?

Publié le 25 juin 2013 à 21:32 par Magazine En-Contact
Qu’est-il arrivé à Call Expert Languedoc-Roussillon ?

Deux jours après un comité d’entreprises houleux qui a vu le président du groupe Call Expert bloqué dans sa voiture pendant plus de trois heures (voir notre précédent article) et les forces de l’ordre intervenir pour dénouer une situation qui s’envenimait, on s’interroge sur un point : y aurait-il pu avoir un avenir différent pour l’entreprise de centres d’appels Call Expert Languedoc Roussillon située dans l’agglomération d’Alès, et filiale du groupe Call Expert ? A quelques jours d’une liquidation de l’entreprise qui semble désormais certaine, petit retour en arrière sur la vie mouvementée de l’entreprise de télémarketing et service clients.

Chronologie des événements et interview exclusive de trois des protagonistes de cette affaire.

Pourquoi et comment l’entreprise Call Expert Languedoc Roussillon en est-elle arrivée à la cessation de paiements ?

Bertrand Delamarre, président-fondateur de Call Expert
Bertrand Delamarre, président-fondateur de Call Expert

En 2007, Last Minute opère dans la ville du Gard un centre d’appels d’environ cent postes de travail pour assurer les opérations de télévente et de services clients de ses produits touristiques, sachant que l’opérateur est l’un des leaders français à cette date. La société est revendue au groupe Call Expert, déjà dirigée par Bertrand Delamarre, qui s’engage à maintenir les emplois, à créer a minima soixante CDI, cet engagement conditionnant la perception de subventions par le FIBM (Fonds d’industrialisation du bassin minier) et les collectivités locales. L’entreprise se développe, remplit apparemment ses engagements et perçoit environ 180 000 euros de subventions des partenaires évoqués ci-dessus. Mais elle connaît ensuite des difficultés qui aboutiront à un plan de redressement en août 2011. Pour apurer des dettes sociales qui s’élèvent à 2,8 millions environ, un plan de remboursement de la dette est mis en place sur dix an, honoré par le groupe Call Expert jusqu’à cette année. Le client Last Minute confie un volume d’opérations de moins en moins important à l’entreprise, que celle-ci remplace notamment par un autre grand donneur d’ordre du tourisme : Go Voyages, devenu depuis Odigeo.

En juin 2013 pourtant, ce dernier annonce à son prestataire qu’il ne reconduira pas son contrat au terme de celui-ci (décembre 2013), ce qui compromet alors le devenir d’un site déjà juste à l’équilibre

Stéphanie Mallia  - Déléguée CGT - Call Expert

Stéphanie Mallia – Déléguée CGT – Call Expert

financier (puisqu’il ne reste que six mois pour remplacer ce grand client qui représente à lui seul 80% des effectifs du site). Bertrand Delamarre en informe le CE ; cette annonce déclenche alors un mouvement de grève d’une certaine partie du personnel. Certains salariés résistent, occupant les locaux, tandis qu’une partie des salariés non grévistes exerce son droit de retrait. La situation se détériore, le commissaire aux comptes de l’entreprise lançant une procédure d’alerte en date du 14 juin dernier. Dans l’incapacité de fonctionner correctement, l’entreprise perd alors deux de ses derniers clients (Air Caraïbes et France Loisirs) qui décident de mettre un terme à leur relation avec la société. C’est la cessation de paiements que le PDG annonce officiellement le 24 juin aux salariés, déclenchant les événements que l’on connaît.

Patron voyou, marché difficile ou syndicat intransigeant ?

Stéphanie Mallia n’y va pas par quatre chemins : la déléguée CGT de l’entreprise, salariée de celle-ci depuis 2007, considère qu’une autre issue aurait été possible. « On aurait pu être viable, mais Bertrand Delamarre n’a pas voulu sauver le site et il a surtout laissé s’accumuler des dettes qu’il n’a jamais eu l’intention de rembourser. Comment fait-il alors pour ouvrir des sites à Abbeville ou Roubaix et pourquoi les clients de ces sites ne sont-ils pas traités et gérés par Alès ? C’est pour cette raison que nous l’avons empêché de partir : après l’annonce au CE, nous l’avons vu s’engouffrer dans une voiture pour partir alors que nous attendions à pouvoir discuter de l’annonce faite du redressement ». Un autre représentant local de la CGT, Sébastien Migliore, va même plus loin : «  Un patron qui encaisse des subventions et ferme ensuite une entreprise, c’est

Didier Rus - Directeur commercial Call Expert

Didier Rus – Directeur commercial Call Expert

un voyou ». Ambiance… Sur un marché – celui des centres d’appels externalisés – sans cesse plus concurrentiel, l’entreprise dirigée par Bertrand Delamarre a souvent été montrée du doigt par certains concurrents lui reprochant des prix de vente très bas qui lui permettraient d’emporter des marchés. «  Certes, nous avons une politique commerciale agressive » reconnaît Didier Rus, Directeur commercial du groupe, « mais nos prix sont justifiés et très cohérents : nous avons une structure au siège bien plus allégée que nos concurrents et le marché demande des prix ajustés. Avec des prix de vente allant de 22 à 26 euros de l’heure, nous sommes tout à fait dans la norme par rapport à nos concurrents, sachant que sur notre site mauricien, nous venons de lancer une offre low-cost. C’est peut-être ceci qui irrite… ».

Avec des clients tels que Voyages-sncf.com, Rueducommerce.fr ou encore SFR ou Canal Plus, l’entreprise a su depuis quelques années se hisser dans le top 15 des prestataires français et déjouer de nombreux pièges qui ont fait mourir ses concurrents. Communication intensive, spécialisation accrue dans le domaine du tourisme lui ont parallèlement permis de devenir l’un des acteurs référents dans la vente de produits touristiques. Pourquoi son président n’a-t-il pas choisi alors de lisser son activité sur ses différents sites ? « Certes, ceci aurait été possible, mais c’est une vision très simpliste de la réalité. Un centre d’appel est souvent spécialisé sur tel ou tel type de prestations qui rend difficile le basculement d’un client à l’autre très rapidement. Lorsque Webhelp par exemple a perdu, il y a un an, ce fameux contrat avec le STIF, ses dirigeants ont bien expliqué que la perte du contrat pouvait provoquer la fermeture des sites qui géraient l’opération. C’est l’attitude extrémiste de certains qui a précipité l’issue ».

Qui croire ? En off, de nombreux concurrents sonnent déjà l’hallali et prédisent un sombre avenir à l’entreprise. Mais quiconque opère dans le secteur depuis les années 2000 reconnaîtra que bien d’autres entreprises de centres d’appels ont fait l’objet de sombres augures et sont toujours vivantes. Le pire n’est jamais sûr ? C’est Christophe Marx, le sous-préfet d’Alès, aux premières loges ces derniers jours, qui tient peut-être le discours le plus lucide sur cette nouvelle fermeture d’entreprise dans le bassin gardois. « Une entreprise qui perd un grand client, ça fait partie de la vie normale des entreprises. Malgré la perte de son client le plus significatif, l’entreprise disposait encore de six mois pour se retourner et concrétiser de nouveaux contrats commerciaux. Dans ces cas-là, nous essayons de mettre autour de la table tous les partenaires dans une démarche constructive. Avec l’union départementale CGT, nous parvenons à un dialogue efficace, mais ce n’est pas la même chose avec l’union locale CGT d’Alès. Il me semble que la grève qui a été déclenchée a précipité l’issue douloureuse que l’on connaît aujourd’hui ». A la question de savoir si de l’argent public a été mal dépensé, le grand commis de l’Etat apporte une réponse mesurée mais claire : « L’Etat n’a distribué aucune subvention à ma connaissance à l’entreprise Call Expert Languedoc-Roussillon, ce sont les structures en charge de la réindustrialisation et les collectivités locales qui les ont accordées. »

Caufield, envoyé spécial à Alès.

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