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Bazarchic et le délicat remboursement de ses clients…

Publié le 08 janvier 2017 à 19:27 par Magazine En-Contact
Bazarchic et le délicat remboursement de ses clients…

(La Vicomtesse d’Eristal n’a pas reçu son balai mécanique)

Hier ma sœur m’a appelé ; ou peut-être avant hier ; sur un site de commerce bien connu, BazarChic, elle a commandé avant les fêtes un sapin Nordmann mais c’est un… épicéa qu’on lui a livré.
(Ça commence comme l’Étranger mais on n’ira pas jusqu’au meurtre sur la plage)

Forcément, ça ne lui a pas convenu et voilà donc la sœurette obligée de tester, de goûter devrais-je dire à un plaisir subtil et indescriptible : la tentative de joignabilité des services clients d’un e-marchand en quête de rentabilité et qui croit avoir trouvé la martingale pour doper son ebitda** : promettre beaucoup, happer le chaland avec force re-targeting, prier dieu pour que le prestataire en supply chain livre bien alors qu’il est payé avec des queues de cerises. Si ça se passe mal, rembourser TARD ou JAMAIS si possible l’honnête homme ou femme qui a cru (mal lui en a pris) qu’il pourrait s’exonérer de la corvée de Noël dans les familles : aller acheter le sapin et le monter à l’appart.
En général, le subtil objectif (ne pas rembourser) n’est évidemment pas déclaré, son atteinte se fondant sur une formule qui a fait la preuve de son efficacité : rendre la demande de remboursement compliquée, épuisante : se succèdent alors demandes de preuve par photo de la livraison, de la non-conformité du colis reçu auquel il faudra ajouter une longue série alambiquée d’e-mails dilatoires émis par le service client du e-marchand.
Notez bien qu’évidemment, aucun numéro de téléphone ne sera mentionné dans aucun de ces fameux e-mails du service relation clients dont la dénomination est déjà, à elle seule, une vaste fumisterie sémantique.
Je vous la fais courte, ma sœur s’est énervée, un épicéa, ça n’est pas un Nordmann et 10 mails, ça prend du temps à rédiger. Elle m’a donc appelé, connaissant la longue fréquentation du petit monde des centres d’appels et des services clients qui fait mon quotidien depuis longtemps.

J’ai été tenté de lui proposer un service premium de résolution du conflit, dont j’ai pu mesurer l’efficacité et dont j’ai pu mesurer l’efficacité redoutable : c’est la campagne Blitz Krieg SMS ; elle consiste à appeler le président du e-marchand incriminé sur son téléphone mobile et à lui saturer celui-ci avec une demande de remboursement “préenregistrée”. La campagne Blitz Krieg est dimensionnée pour envoyer 143 messages vocaux par heure. Efficacité redoutable. Mais je me suis finalement retenu de lui faire cette proposition de résolution rapide du problème pour 3 raisons.

1/ La redoutable efficacité de cette opération de first-call-resolution se solde (tests à l’appui) par une moyenne de 3 morts : l’émetteur des campagnes SMS lorsqu’il ouvre la porte de son officine à la BRI alertée par le service du ministère de l’intérieur, le directeur des services clients de la marque concernée – lampiste vite crucifié – et le préparateur de commandes. On ne sait pas à ce stade si l’erreur est intentionnelle, ou pas.

2/ Je n’ai pas encore statué sur le nom de ce service premium dont le lancement national, après des années de recherche et de développement devrait m’assurer, si j’ai bien tout calculé, une fin de carrière heureuse et paisible. Tempête du désert, à votre avis, est-ce que ça sonne mieux que Blitz Krieg SMS ? Est-ce que ça sonne trop belliqueux selon vous ?

3/ Je me suis demandé si ces difficultés (non-conformité du produit livré avec le produit commandé, difficulté à joindre le service client), ne constituent pas en réalité une ruse de la raison hégélienne pour pour nous obliger à nous parler, à engager la conversation, à maitriser la subtilité de la rhétorique de la réclamation. Peut-être des esprits avisés, là-haut, ont-ils bien saisi à quel point notre folie et passion inconsidérée pour les objets connectés, la digitalisation et autres balivernes sur la disruption nous ont distrait de l’essentiel. Allons-nous tous finir avec des repas livrés par Deliveroo, ou Amazon, conversant à table avec des robots qui souriront lorsque nous auront crié “sourire” à Alexa (le robot vocal d’Amzon) ? Tout bien considéré, ce sapin de noël épicéa livré en lieu et place du Nordmann, c’est une aubaine, l’opportunité pour tout un réseau de se mettre en branle : il faut un ordinateur pour écrire un email au service client, des agents de centres d’appels pour tenter de répondre, depuis le Maroc ou Madagascar, qu’il faut faire diriger par un directeur de l’expérience client qu’il faut avoir recruté, etc… C’est même l’occasion pour les frères et soeurs de se parler.
Vous croyez qu’elle tourne comment la machine ?

Jean Anouilh débuta sa carrière, parait-il, en répondant au courrier des clients des Grands Magasins du Louvre : il reprit, pour intituler ses mémoires, le texte de la première carte d’un client à laquelle il fût chargé de répondre ; c’était « La Vicomtesse d’Eristal n’a pas reçu son balai mécanique ».
Je vais donc :
– Transmettre à ma soeur l’email perso de Liberty Verny (le patron de BazarChic), elle pourra lui donner son point de vue de cliente en direct, ça s’appelle la voix du client.
– Acheter les mémoires de Jean Anouilh à Charlotte (le prénom de ma sœur) pour qu’elle sache que des commandes non-livrées, c’est vieux comme le monde.
– Lui suggérer ensuite, après qu’elle aura lu le livre, de rédiger un commentaire avec son avis sur l’ouvrage. Rendez-vous compte : sur Google Shopping, ce livre merveilleux est associé à un commentaire succinct et débile : « livre d’un intérêt mince ». Depuis Anouilh, rien n’a changé : les marchands ne livrent pas toujours à l’heure et les ricains disent parfois, comme nous, des conneries grosses comme eux. Livre d’un intérêt mince, c’est bien un commentaire de robot.

Un billet d’humeur de Manuel Jacquinet,
le 8 janvier 2017

* il paraît que Facebook et les autres vont faire la chasse aux titres page opener ; je teste leur sagacité ?

** Le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (BAIIDA) ou, en anglais, earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization (EBITDA) désigne, en finance, le bénéfice d’une société avant que n’en soient soustraits les intérêts, les impôts et taxes, les dotations aux amortissements et les provisions sur immobilisations (mais après dotations aux provisions sur stocks et créances clients). [Wikipedia]

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