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Écartez les indélicats. Ce que peut et doit faire un commandant de bord, en cas d'incivilités

Publié le 29 mars 2024 à 15:14 par Magazine En-Contact
Écartez les indélicats. Ce que peut et doit faire un commandant de bord, en cas d'incivilités

Faut-il un pilote dans l’avion ? Seul maitre à bord de son appareil, le commandant de bord débarque parfois des passagers. Quels qu’ils soient. Une procédure formalisée est prévue, actualisée. Bien sûr, il en faut un, courageux et sachant parfois mettre le hola ou… lire les procédures d’exclusion. 

Développer sa petite entreprise pour en faire une grande nécessite impérativement de savoir gérer les clients mécontents, dans un monde qui change et rempli de contraintes, légales, elles-mêmes soumises à des modifications et de donner de l’autonomie à ceux qui pilotent les opérations au quotidien. Grandir nécessite de décoller, de gérer les étapes difficiles ou délicates et de documenter les procédures qui vont être nécessaires. Le transport aérien est un très bon exemple d’une industrie en pleine mutation : des compagnies low-cost y côtoient des compagnies premium, parfois financées, certains diront subventionnées par des Etats. Loin de nous ce débat, ce qui nous intéresse est ce qui suit : les confidences d’un pilote d’avion de ligne, en l’occurrence un commandant de bord, ainsi que le texte -jamais publié à date- sur le texte qui doit être lu à un passager incorrect.

Il faut un pilote dans l’avion
Christophe Juin, commandant de bord du Boeing 737-800 de Transavia Airlines, groupe Air France–KLM, se livre à nous : de l’aéroport, à l’embarquement et ce jusqu’à l’arrivée à destination, qu’en est-il de l’expérience client ? Christophe Juin répond à nos questions.

Qu’avez-vous appris de ce qui dégrade ou enchante les clients en matière de service ou d’expérience client, à bord et lors des embarquements ou débarquements ?
Christophe Juin : Tout d’abord, comprenons bien qu’il n’y a pas d’endroit plus stressant qu’un aéroport. Il y a encore une grande proportion de nos passagers qui ne sont pas totalement familiers avec cet environnement. Depuis leur arrivée sur la plateforme jusqu’à l’embarquement, toute contrariété est exacerbée. En particulier l’attente à l’enregistrement. Le personnel des sociétés sous-traitantes pour cette tâche n’est pas suffisamment formé et le passage des filtres de sécurité est vécu par de nombreux passagers comme une agression, sentiment d’ailleurs souvent justifié. A l’embarquement, pour espérer gagner 2 minutes, les agents d’escale vont « pré-embarquer » les passagers dans des passerelles surchauffées ou des bus pas climatisés, sans tenir compte de la réalité de l’avancement de la préparation de l’avion (ménage, catering, carburant, panne, etc.) respectant ainsi bêtement les consignes des compagnies aériennes. Il m’est arrivé de renvoyer en salle d’embarquement des bus bondés, un après-midi caniculaire car nous attendions les équipes techniques pour une intervention sur l’avion. Pourtant les agents du « passage » (embarquement) avaient lancé l’embarquement sans aucune concertation avec le commandant de bord. Tout simplement parce que c’était l’heure ! Vous imaginez dans quel état d’exaspération l’équipage commercial récupère ensuite ces passagers. Et malheureusement, ceux-ci ne font pas toujours le distingo entre le véritable personnel de la compagnie et les intérimaires des sociétés d’assistance sous-traitantes.

Les pilotes sont-ils formés à ces notions, bons comportements ou sont-ils des « super-techniciens » qui se reposent sur les hôtesses pour les sujets évoqués ci-dessus ?
Non, les pilotes ne sont pas « formés » spécifiquement à gérer ce genre de problèmes car la formation pilote est essentiellement technique. Ces sujets sont abordés désormais de plus en plus lors du stage commandant de bord au sol mais surtout lors de l’AEL (adaptation en ligne), période durant laquelle le futur commandant de bord vole en ligne sous la supervision d’un instructeur assis en place droite. Les « incivilités » sont malheureusement de plus en plus fréquentes à bord. Le commandant de bord doit savoir les gérer afin de garantir la sécurité de son équipage et des passagers dont il a la charge et ce au même titre qu’il doit savoir gérer une panne technique. 

Le service est-il normé, détaillé sur une compagnie comme celle pour laquelle vous volez et travaillez ? Est-il distinct selon les compagnies ?
Oui. Le service offert aux passagers est un choix commercial et découle de la stratégie globale de la compagnie. Il est évidement différent selon le positionnement commercial de chacune de celles-ci. Par ailleurs, au sein d’une compagnie, il n’est pas pas figé. Une compagnie comme celle pour laquelle je travaille, assure à la fois des vols low-cost, au cours desquelles les prestations (boissons, sandwiches, etc…) sont payantes, mais aussi le transport de clients beaucoup plus exigeants d’un célèbre tour opérateur et d’une prestigieuse compagnie maritime de luxe française. Dans ces cas précis, ce sont ces affréteurs qui décident du niveau de prestation qui sera offert par nos équipages commerciaux à leurs clients. 

Les clients ont-ils changé et si oui, dans quel sens ?
Oui bien sûr la clientèle a changé, tout comme la société. Les problèmes de la rue se sont « transportés » dans les avions. Le transport aérien s’est démocratisé, ce qui est à priori une excellente chose ; la moins bonne, c’est que l’avion est aujourd’hui accessible à des gens qui culturellement ne maîtrisent pas les codes de la politesse ou du savoir-vivre ou qui rejettent toute forme d’autorité. Or, un avion est un espace clos, c’est une cocotte-minute volante où tout est exacerbé. Il est donc primordial de respecter des consignes, qui peuvent être données par des femmes, ce qui est apparemment un problème pour certains. Le rôle du commandant de bord en tant que responsable de son équipage et des passagers qui lui sont confiés est donc sur ce point capital. Pour ma part, je suis très clair avec mon équipage lors du briefing Pilotes/PNC : je demande à mon équipage commercial de n’accepter aucune incivilité, verbale et a fortiori physique, de quiconque. J’exige d’être informé, sur le champ, de tout dérapage et n’ai jamais hésité à prendre des mesures radicales, allant jusqu’au débarquement d’un(e) passager(e) en requérant si nécessaire la force publique. Et ce, quelles que soient les conséquences opérationnelles engendrées (retards en particulier). Il m’est même arrivé au roulage de revenir au point de stationnement pour débarquer des individus qui venaient d’insulter une hôtesse. Et c’est d’ailleurs amusant de constater que le vol qui suit est ensuite beaucoup plus tranquille.

Evoquons les process : faut-il de temps à autre les oublier, les « toiletter » ?
Dans notre profession, non ! Mais nous sommes habitués aux changements. Procédures opérationnelles, check-lists, etc. évoluent sans cesse et on oublie vite ce que l’on faisait « avant ».

Je m’adresse maintenant au passager que vous êtes amené à être par moment, à quoi êtes-vous sensible lors de vos déplacements, escales ? Y-a-t-il des aéroports pires que d’autres ?
Quand je voyage en tant que passager, je suis sensible aux mêmes choses que mes homologues : enregistrement rapide, filtrages efficaces mais courtois (comme aux USA), salles d’attentes confortables et embarquement fluide. Quand je suis en fonction, seuls le PIF (poste inspection filtrage) et l’accès aisé à l’avion m’importent. Malheureusement, à Orly ni l’un ni l’autre n’est une partie de plaisir. Et c’est d’ailleurs à la longue usant. Il n’est pas rare que des équipages aient des altercations parfois violentes liés aux comportements inacceptables de certains agents de sécurité. À tel point que l’on se dit souvent qu’une fois arrivé à l’avion, le plus dur de notre journée est passé ! 

Dernier avertissement 
Le texte qui suit est celui qui doit être lu à un passager dont le comportement est inadéquat, voire incorrect et que le personnel d’équipage en cabine n’est pas parvenu à calmer ou raisonner. Cette fiche de texte, est disponible en français et en anglais et doit être lue tel quel, à ce passager qui va le signer, comme il le ferait dans un commissariat pour signer sa déposition. Sur la compagnie en question (Transavia), il est en permanence édité en plusieurs exemplaires, dans le classeur de procédures que conserve le commandant de bord, dans la cabine de pilotage.

DERNIER AVERTISSEMENT
DATE      VOL      NOM/SIEGE

Madame, Monsieur, 

Nous sommes au regret de vous notifier que malgré les informations orales qui vous ont été fournies, votre comportement à bord de ce vol est en contradiction avec les consignes de sécurité de notre compagnie. 

Nous vous encourageons à respecter les instructions données par notre personnel de bord de manière à éviter toute poursuite ultérieure de la part de Transavia France et/ou votre débarquement à notre prochaine escale. Les réglementations applicables au transport aérien interdisent de compromettre la sécurité de l’aéronef, des personnes, le bon ordre et la discipline à bord et notamment :
-fumer dans la cabine,
-s’opposer à un membre de l’équipage ou créer une gêne affectant la sécurité du vol, 
-boire de l’alcool sans avoir été servi par un membre de l’équipage
Sont autant de comportements jugés dangereux au regard de la sécurité de ce vol. Nous vous encourageons formellement à vous conformer aux instructions du Personnel Navigant, de manière à éviter tout recours à la police à l’arrivée de cet avion, voire de poursuites ultérieures de la part de notre compagnie.

Agissant en sa qualité de CDB au nom de de Transavia France, signature :

______________

LAST NOTICE 

DATE       FLIGHT       NAME/SEAT

Ladies and Gentlemen, 

We would like to advise you that despite our previous warnings, your behavior on board is continuing to disrupt the flight safety, as well as the safety of passengers, crew and all service staff involved. 

You are expected to respect crew instructions in order to avoid any further legal pursuits on behalf of Transavia and/or the denial of boarding during the next stopover. Misbehavior on board any aircraft threatens the flight safety and the safety of passengers.

It is particularly prohibited to:
-Smoke in the cabin
- Intentionally cause damage to Transavia crew or to endanger flight safety 
-Drink alcoholic beverages that have not been served by crew members.

We remind you that continued misbehavior during this flight shall entail the use of Police recourses and/or pursuit by Transavia to the full extent of the law.
On behalf of the Captain on duty and Transavia France, signed : 

 

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