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L’expérience cinématographique durant les années folles et maintenant. How to bring movie-lovers back in theaters?

Publié le 28 décembre 2023 à 13:15 par Magazine En-Contact
L’expérience cinématographique durant les années folles et maintenant. How to bring movie-lovers back in theaters?

« Il est certain que le cinéma est là pour durer, au moins pour un temps »
Katharine Fullerton Gerould (The Atlantic Monthly. 1921)

Avant les années 1975, on ne s’est pas réellement intéressé à l’expérience cinématographique, même si, dès les années vingt, les exploitants de salles de cinéma ont cherché à créer l’évènement, le spectacle, afin d’attirer des spectateurs dans les salles obscures. Pour la promotion de The Return of Tarzan, un lion fût lâché dans un hôtel de New-York, en 1920.

En 2023, les grands réseaux de salles de cinéma aux USA, tel Alamo Drafthouse, AMC ou Marcus Theaters misent sur le service en salles, des offres premium pour attirer le chaland. Fauteuils plus vastes, chauffants, repas servis en salles, innovations technologiques tel le format Dolby Vision ou Screen X. Tim League, le fondateur de la chaine Alamo Drafthouse, a créé la fonction de Chief Experience Officer et croit à l’innovation : « notre idée a consisté à inventer un cinéma où nous aurions envie d’aller». Petit retour en arrière.

l'Artistic Palace à Boulogne-Billancourt, qui devint un studio d'enregistrement fameux où sont passés Barbara, Francis Cabrel et bien d'autres. De nombreux cinémas ont fini en studios, tel Davout.

L’expérience en salles de cinéma, un concept récent.

Comme le précise André Muraire, dans un article et livre passionnant*, « si l’on a beaucoup écrit depuis des décennies sur les stars, sur Hollywood, sur l’extension des studios, ce n’est que depuis 1975 que l’on s’intéresse aux données sociales sur les spectateurs et notamment sur l’expérience cinématographique. Aller au cinéma, dans les années vingt, c’est d’abord entrer dans une atmosphère, comme le décrit Jérome Charyn, qui se revoir gamin entrer au Paradise du Bronx,  pendant la seconde guerre. Voici l’entrée, un patio espagnol avec des mosaïques sur le sol et une fontaine de marbre remplie de poissons rouges. Le seul bruit de l’eau nous fait larguer les amarres (..) Nous avons la sensation bizarre d’être en même temps dehors et dedans, comme si le Paradise fabriquait lui-même son propre climat. On appelait ça une atmosphère, on ne pouvait pas y aller voir un film sans plonger dans cette atmosphère très particulière

Dès les années trente, les exploitants de salles ont compris que l’attrait du spectacle est déjà dans la rue, dans le hall. « Les gens viennent au cinéma pour passer une heure ou deux au pays des rêves. Ils cherchent à échapper à la routine du quotidien. (Koszarski)

Pour rentabiliser les salles qui ne cessent de se multiplier et de s’agrandir, quatre éléments essentiels sont travaillés : la fréquence des changements de programme, le racolage publicitaire, la qualité de l’environnement musical et l’étoffement considérable du programme au sein duquel le film lui-même finit souvent par devenir secondaire. 

Ajith Kumar, un lion, Mathieu Kassovitz, ce qui attire les spectateurs depuis quelques années. 

Un lion fût lâché dans un hôtel de New-York pour la promotion de The Return of Tarzan ( 1920) (..) En tout état de cause, la gestion d’un picture palace dans les années 20, avec ses cohortes d’employés, doorman, streetman, footman, page boy, elevator operator, devient onéreuse et tout est donc mis en place pour rentabiliser la salle au maximum.

Lors du lancement du Gaumont Les Fauvettes, qui a depuis changé de projet, la directrice du cinéma, Nathalie Vrignaud, expliquait que l'annonce d'une nouvelle projection du film La Haine, pour autant qu'on annonce la présence de Mathieu Kassovitz, suffisait à déclencher la vente de tous les billets .. en moins de trente minutes, même à un tarif augmenté.  “Les spectateurs désirent partager avec ceux qui ont fabriqué les oeuvres, les films”.

Le 11 janvier 2023, au CGR d'Epinay-sur-Seine, la projection du block-buster d'action indien Thunivu a déclenché de véritables scènes d'émeute. Dans ce temple français du cinéma indien, toute une communauté de fans, alertée et animée sur les réseaux sociaux par le distributeur du film Night ED Films, s'était réunie pour découvrir les aventures d'Ajith Kumar, véritable star en Inde, ce coup-ci engagé dans une guerre entre braqueurs pour s'emparer du butin d'une banque. Dans le magazine Mad Movies, Etienne Dubaille, le dirigeant de Night ED Films, expliquait: “ Pour ce genre de films, le vrai fan est en transe, personne ne peut l'empêcher de lancer des confettis ou de danser devant la scène (..) Sur les avant-premières, je viens avec ma propre équipe de sécurité et je déconseille au public non communautaire de venir”

Cinéma parlant, Dolby Atmos, Immersive Cinema Experience: les ruptures technologiques.

Les ruptures technologiques ne sont pas une nouveauté: le passage au parlant a constitué un sacré bouleversement. Le parlant exige le silence par exemple. « Le public bavard des films muets devint un public muet de films bavards. Jusque 1920, certaines salles largement fréquentées par un public d’immigrés ont recours à un présentateur dont le rôle est de lire les sous-titres. Le public est bruyant, réagit, il lui faudra parfois des mois pour apprendre le silence, on prévoit des entractes ».

Les ruptures technologiques ne viennent pas toutes des USA, de Dolby, de Philips. Bien connu dans le monde du cinéma, puisqu'il est le deuxième exploitant français de salles, CGR Cinémas a créé sa propre technologie pour magnifier l'expérience en salles, avec ICE Theaters et son produit: ICE, Immersive Cinema Experience. Dans son bunker de la Rochelle, le groupe a fait plancher techniciens et ingénieurs pour développer sa propre technologie, qu'elle a déjà installée à Blagnac (1er cinéma du réseau à en bénéficier ), mais également en Arabie Saoudite etc. Son ex-directeur général, Jocelyn Bouyssy, figure du cinéma français, a pourtant été mis à pied en cours d'année, avec une partie de sa garde rapprochée, par la famille qui possède CGR. A suivre.

Gaumont Les Fauvette, une tentative de Pathé pour créer un cinéma différent. Nathalie Vrignaud en a été la directrice. Elle a rejoint désormais UGC.

Aller à la rencontre du spectateur, le déranger là où il est est, vit. Et zapper parfois les intermédiaires qui empêchent. 

Le cinéma et les salles de cinéma mutent donc. Les exploitants et distributeurs sont condamnés à réfléchir à ce qui doit donner envie : de se déplacer, de consommer, de dépenser.  

On est donc allés, pour notre dossier du mois (numéro 128 d'En-Contact) rencontrer un distributeur passionné et passionnant, qui a abandonné un jour l’idée d’une carrière classique et prestigieuse dans l’industrie automobile pour se consacrer à la Faith production : Hubert de Torcy, de Saje distribution et Saje Production. L'ex-cadre de l'industrie automobile donne de l'urticaire à quelques-uns, compte tenu de ses choix artistiques, de ses sélections mais il est un autre domaine dans lequel ses recherches sont passionnantes: en permettant à des publics de visionner les films dans des salles paroissiales, des lieux non prévus au départ pour une séance de cinéma, il parvient à recréer l'ambiance du ciné-club, où l'on discutait du film après sa projection et surtout, il s'affranchit d'un véritable mur, celui de la distribution en salles. Puisque chaque semaine plus de films sortent qu'il n'existe d'écrans, l'enjeu est de donner à voir un film. 

Et si le premier et bon motif de se rendre en salles tenait au film, au partage de la découverte d'une oeuvre, avec d'autres ? 

On a choisi par exemple, dans une précédente chronique, de vous parler d’un film marquant qui parle du mauvais management et des services clients, en Corée : About Kim Sohee. Jamais selon nous, on n'avait aussi bien démontré l'hérésie des techniques de rétention et d'anti-churn dans les call-centers.

Après la crise sanitaire, exploitants et industriels se sont inquiétés de la baisse de fréquentation des salles, concurrencées par l’offre abondante des plateformes. Experts et Cassandre ont été convoqués pour organiser l’inquiétude et la légitimer, jusqu’à ce que Tom Cruise et ses aventures de pilote d’avion (Top Gun) ramènent des spectateurs en salles. Merci Maverick ! Dès qu’il est né en réalité, le cinéma a douté de lui-même et de sa pérennité. La citation est incertaine (et a été connue grâce à Jean-Luc Godard, qui l’a placée en arrière-plan dans une scène du Mépris) mais Louis Lumière aurait déclaré « Le cinéma est une invention sans avenir ». 

A quoi tient donc l’expérience cinéma: à la salle, à celui ou celle qui nous accompagne, au film qui va nous scotcher au siège, à ce dernier ou au son ? On attend avec impatience l'ouverture de la nouvelle Pagode, dans le 7ème arrondissement, rachetée et rénovée par Charles Cohen. On profite vers Montparnasse de quelques salles spacieuses, telle la salle un de l'Arlequin (Dulac Cinémas). On songe avec nostalgie que Le Bretagne n'est plus, que plus aucun trentenaire ne se rappelle le Kinopanorama, qui animait le quartier de la Motte-Picquet Grenelle.  

Pour aller plus loin sur ce sujet. 

Dans chaque numéro d’En-Contact, on vous parle d’un film qu’on a vu et de la salle où l’expérience a été vécue

Vous pouvez également découvrir la vidéo de l'interview réalisée de Sophie Dulac, l'une, la dernière indépendante du cinéma français, tout à la fois productrice, distributrice, exploitante de salles: “Lorsque le film est de qualité, les spectateurs viennent en salles le voir”. 

*Cent ans d’aller au cinéma : le spectacle cinématographique aux Etats-Unis, 1896-1995. Francis Bordat. Presses Universitaires de Rennes. Chapitre : Aller au cinéma dans les années 20 : l’expérience cinématographique pendant les années folles.

photo de une : le cinéma La Clef, rue Daubenton, qu'un collectif tente de sauver de la fermeture. Crédit : Edouard Jacquinet.

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