Le magazine indépendant et international du BPO, du CRM et de l'expérience client.

Proantic, Plazzart, Selency, les nouveaux marchands d'art, de meubles vintage

Publié le 25 janvier 2024 à 14:58 par Magazine En-Contact
Proantic, Plazzart, Selency, les nouveaux marchands d'art, de meubles vintage

Le monde entier est devenu une salle des ventes. Grâce à Instragram, au web, et l'on peut un jour dénicher un livre ou meuble rare depuis son canapé. “Mais c'est à l'achat que tout se joue” selon Cyril Dehay de la Galerie des Songes. 

Proantic, Plazzart, Selency, Christie's ou Sotheby's, la vente d'œuvres d'art en mode digital explose et n'échappe pas aux nécessités, là aussi, de soigner les parcours clients. 

Marchands d’art, par Daniel Wildenstein et Yves Stavridès, aux éditions Plon.

Si Daniel Wildenstein, célèbre marchand d’art et de tableaux, débutait aujourd’hui ses aventures, pour sûr investirait-il un peu moins dans des locaux ou galeries bien situées que sur Instagram ou sur des plateformes de vente en ligne ou d’intermédiation telles que Plazzart, Selency, Proantic. Mais tout ceci ne suffit pas : le désir et un savoir-faire réel à l’achat s’avèrent essentiels, ainsi qu’une sacrée maitrise pour résoudre les points de friction dans l’expérience d’achat. Le fondateur de la Galerie des Songes a découvert tout ceci et narre son parcours. 

A quarante ans, vous quittez votre bureau pour devenir marchand d’art, qu’est-ce qui vous incite à ce virage assez radical ?
Cyril Dehay : Ma dernière formation m’a permis de travailler en tant que maquettiste pour un regroupement de magazines professionnels spécialisés dans les mutuelles. J’y étais devenu chef de fabrication et gérais les relations entre la rédaction et l’imprimeur, le suivi d’impression des magazines. J’ai été licencié, et je n’ai pas eu envie de retourner dans un bureau : j’avais soif d’autonomie, de changement et de liberté. Il y a trois ans, j’ai donc décidé de me lancer dans l’art. J’ai toujours aimé chiner en brocante. Pas nécessairement des œuvres d’art, mais des livres ou de la musique. J’ai choisi ce secteur d’activité parce qu’il me permet de faire de nouvelles découvertes tous les jours. En tant que marchand, on ne peut pas tout connaître, on a forcément des styles de prédilection; il faut donc rechercher et approfondir ses connaissances en permanence et j'ai justement besoin de découvrir, d’explorer, d’être challengé. J’ai un côté rat de bibliothèque, je suis toujours en train de lire des livres, de rechercher une information alors ça me correspond bien ! Le Marchand d’art est un passeur, et c’est une des raisons pour lesquelles j’aime ce métier : la transmission de la biographie de l’artiste, du contexte de création d’une œuvre, l’échange d'objets qui peut susciter un engouement fort en salle de vente. Ikea aura toujours des clients mais je pense que les gens ont besoin d’acquérir et de transmettre de belles choses. Le tableau reste, vous survit, vous lie à votre descendance. 

Quels sont vos domaines de prédilection ? La spécialisation permet-elle de devenir un marchand plus efficace ? 
Je suis spécialisé dans les arts graphiques : tableaux, estampes, gouache… Tout ce qui est papier ou huile sur toile, de 1850 à nos jours. Je ne travaille pas avec des artistes contemporains, j’interviens sur le second marché, celui de l’occasion. Les œuvres ont déjà circulé et bien souvent je vais pouvoir les restaurer, leur rendre de leur valeur car certains tableaux sont parfois achetés dans un état déplorable. Oui, il vaut mieux se spécialiser pour acquérir des connaissances pointues. L’antiquaire généraliste ou le brocanteur n’auront pas forcément la volonté d’approfondir le sujet et n’en éprouveront pas toujours le besoin. Pour ma part, lorsque je découvre un peintre, je me documente sur sa vie, son histoire, afin d’être capable d’en parler au client. Il faut rassurer ce dernier, lui montrer l’intérêt d’une œuvre au regard d’une autre et lui faire percevoir comment elle s’intègre à son courant artistique. 

© Augustin Royer

La transition a-t-elle été difficile ? Comment se fait-on un nom dans ce milieu, où trouve-t-on ses clients ? 
La transition s’est faite assez simplement, le désir de se lancer suffit pour débuter mais peut-être pas pour durer. Pour se faire connaître, il est évident qu’avoir des relations, récupérer le réseau familial aide énormément. Ce n’était pas mon cas. Il faut alors proposer des œuvres de qualité, en espérant satisfaire ses clients. Y parvenir les encourage à revenir vers vous, voire à vous confier des recherches. Pour cela, il faut avoir travaillé avec un client plusieurs fois, avant qu’il ne vous mandate pour trouver une œuvre en particulier : « j’aimerais bien une toile de tel peintre, à telle période. » Pour ceux qui n’ont pas le temps, on joue en quelque sorte le rôle d’agents immobiliers de l’art, voire même de chasseur d’œuvre rare. C’est une relation de confiance, qui demande à être entretenue. Certains vous diront que c’était plus simple il y a vingt ans à « la belle époque ». Ceux qui le prétendent n’ont simplement pas su s’adapter. En conservant le même schéma de vente, sans passer par le net, ils ne s’y retrouvent plus.

Internet est devenu le premier marché d’échange des œuvres d’art, qu’est-ce que cela implique, transforme ? 
Désormais, l’achat, la vente, les relations, tout passe par Internet: on échange à travers le monde comme s’il était une salle de vente. Cela permet à tout un chacun d’effectuer ce métier, l’avantage du réseau s’amoindrit donc considérablement. Le privilège du marchand qui dispose de ses contacts n’existe plus: tout le monde peut être en contact direct. Le deuxième changement est qu’on peut acheter sans avoir vu les œuvres, ce que je trouve dommage et risqué. Entre la photo et la réalité existe toujours un décalage… le volume, la colorimétrie sont des facteurs qu’il faut constater en vrai, que l’on soit marchand ou client. L’autre gros risque est statistiquement lié au transport. Personnellement, je passe par la Poste ou un autre transporteur traditionnel, car je vends essentiellement des petits formats mais le risque de casse est toujours présent. Les transporteurs classiques ne permettant aucun recours en cas de dommage (ils ne prennent pas le transport d’œuvre d’art en charge), c’est un peu du quitte ou double. 

© Lucien Genin

Où vous « fournissez » vous ?
En grande majorité dans les salles de ventes, ouvertes au public mais également lors de déballages de marchands et parfois via un accès direct aux particuliers. C’est un métier où l’on travaille un peu seul dans son coin, mais où l’on s’entraide parfois, une fois l’achat réalisé ! Je peux alors demander l’avis d’un confrère sans problème, et l’inverse est vrai également, mais avant l’achat, c’est chasse gardée. La chasse au trésor se pratique en solitaire !

On a évoqué les joies, quelles sont les difficultés de ce métier ?
La vente… (rires). En fonction de ses finances, il est facile d’acheter un tableau, moins de le revendre. On a beau croire parfois en une œuvre, être persuadé qu’elle va plaire à foule, nos goûts peuvent différer de ceux du public. Il y a ensuite la question du prix de vente car il ne faut pas être trop gourmand. Tout le monde est déjà resté bloqué avec une œuvre sur les bras, sans parvenir à provoquer la rencontre et si tout finit par se vendre, ce n’est pas forcément au niveau estimé. Nos attentes sont parfois trop élevées, il faut savoir s’adapter. Lorsqu’une œuvre ne plaît pas, il faut savoir remettre en question l’objet, son prix et parfois accepter de la remettre en salle des ventes à un prix plus bas, quitte à perdre de l’argent. 

C’est donc à l’achat que tout se joue ? 
En grande partie oui, encore plus depuis la Covid-19. Il y a beaucoup moins de salons. Les clients réguliers, qui ont leurs habitudes, n’achètent plus et s’il existe un public jeune, ce sont surtout les personnes d’un certain âge qui sont les gros acheteurs et elles sont plus réticentes à passer par le net. Il faut donc être présent partout et notamment sur les plateformes, devenues inévitables. Ebay permettait il y a quelques années de faire de bonnes affaires, ce n’est plus trop le cas aujourd’hui; on va par exemple passer plutôt par Selency pour les achats design, Proantic ou Plazzart selon les produits et les cibles visées pour la vente. 

Parvenez-vous à vivre de votre activité, passion ? 
Sincèrement, pas de façon satisfaisante, mais je n’en suis qu’à mes débuts et je sais que c’est une course de fond. Le nerf de la guerre se situe à l’achat : acheter au meilleur prix, afin d’espérer une meilleure marge. Vous êtes donc déjà mécaniquement contraint par votre puissance de feu à l’achat. C’est un marché sans aucune règle, on peut y vendre à perte ou multiplier ses gains par cinq, dix, quinze. 

Si on a de la chance, une œuvre peut être mal estimée et on a alors l’opportunité de lui redonner de la valeur en l’authentifiant. Ce n’est plus un tableau avec une signature illisible, c’est l’œuvre d’untel. C’est extrêmement hasardeux et irrégulier: certains mois, les ventes s’enchaînent, puis subitement, plus rien. C’est un métier aléatoire et difficile parfois, mais ça me plaît, et je ne regrette pour rien au monde le choix que j’ai fait. 

© Marguerite Arosa

Et si c’était à refaire ?
De plus en plus de ventes se font à présent en ligne et, sachant cela, lorsque j’ai débuté mon activité, je ne comptais être présent que sur Internet. Mais avec le recul, je me suis rendu compte que je me coupais de toute une partie de clients potentiels adeptes des salons et des foires. Et rien de tel pour rencontrer des gens, des collectionneurs, échanger, présenter les œuvres, discuter. Ces moments de partage me manquaient aussi. Je participe désormais à quelques salons. Et cela permet aussi de côtoyer les collègues marchands, de nouer des liens. J’aurai dû faire cela dès le départ !

Comment voyez-vous votre métier ? 
Marchand d’art est un métier de passeur. Nous transmettons une histoire, l’Histoire… Lors de nos recherches, d’un achat, que ce soit en salle des ventes ou chez un particulier, nous avons toujours en tête la quête de l’objet rare, celui qui pourra satisfaire notre curiosité et correspondra aux attentes détectées chez nos clients. Parfois le hasard fait bien les choses, comme cette fois où, en salle des ventes, séduit par une vue de Paris, j’achète un lot d’aquarelles, de dessins et de livres. De retour chez moi, je feuillète les documents achetés, la plupart sans intérêt, quand soudain l’un d’eux retient mon attention : un livre d’astronomie datant de 1679, écrit par Augustin Royer. Loin d’être expert en livres anciens, cet ouvrage me paraît tout de suite exceptionnel avec ses quatre cartes dépliantes des constellations. S’ensuit alors une phase d’intenses recherches, notamment à la Bibliothèque nationale de France pour y trouver de plus amples informations. Je découvre qu’il s’agit de la première traduction en français d’un ouvrage de Edmond Halley. Trouvant alors une version légèrement différente chez un marchand anglais, je me rends compte qu’il en a fait l’acquisition auprès d’une grande maison de vente aux enchères pour £18.000. N’ayant autour de moi aucun acheteur potentiel pour un tel ouvrage, je contacte ce marchand qui a bien évidemment su saisir l’opportunité d’acquérir un livre aussi rare.

Par Manuel Jacquinet

Photo de Une :  © Joan Mayor

A lire aussi

Profitez d'un accès illimité au magazine En-contact pour moins de 3 € par semaine.
Abonnez-vous maintenant
×